samedi 13 octobre 2012

Bilan après un mois en Inde

Me voilà en Inde depuis un mois ! C’est fou, j’ai l’impression que cela fait une vie entière que je suis partie ! Quand je pense à ma vie française, je la sens proche et terriblement loin à la fois. Je ne sais déjà plus quel goût ont la salade, le chèvre et le jambon, je sais juste que ça me manque. Je commence à me perdre dans les jours de la semaine et dans les dates. Mes repères ont été balayés au moment où j’ai posé le pied à Delhi le 16 septembre. Tout est différent, à réinventer en permanence. Chaque pas est une aventure, une découverte, une rencontre. La vie ici va à mille à l’heure et pourtant tout est d’une lenteur effroyables pour nous, français pressés. Les indiens vivent dans une langueur qui nous ferait sortir de nos gonds à Paris, ferait surgir des pulsions meurtrières (encore plus que celles qu’on peut avoir à la Poste parfois ou dans le métro). Alors je m’adapte, je prends le pli indien, la démarche, la façon de m’adresser à chacun. Malheureusement je ne baragouine que quelques mots d’hindi mais déjà lorsque je négocie mon kilo de bananes à un prix local en hindi, je sens un peu plus de respect. La négociation, parlons-en. Tout n’est que marchandage : c’est le sport national. Si on ne marchande pas, les vendeurs ne sont pas contents. Parfois je me demande s’ils ne font pas exprès de demander un prix exorbitant parce qu’ils espèrent jouer un peu à la marchande. J’en suis sûre même, car ils ont souvent ce sourire enfantin en coin, et lorsqu’on rit de l’énormité qu’ils viennent de sortir, ils sont hilares et commencent à être sympathiques. Sacrés indiens. Il arrive d’avoir affaire à des gens absolument exécrables, ou encore des fainéants qui n’ont pas envie de travailler et refusent que vous montiez dans leur rickshaw. Il n’est pas rare de voir un employé de bureau ronflant les pieds sur la table, dormir parce qu’il était fatigué. Etrangement, je n’imagine pas mon banquier faire ça, surtout si on le voit de la rue. Ici les gens suivent le rythme de leur corps, et dorment dès qu’ils sont fatigués : on peut voir des femmes faire la sieste sur le trottoir (quand trottoir il y a). Vous imaginez votre mère faire ça ? J’ai découvert également, contre toute attente, que les indiens mangent environ toutes les deux heures et se font franchement plaisir ! Tout est excuse à manger ou boire de bonnes choses : après avoir psalmodié des chants religieux dans leur temple, les femmes mangent des sweets (délicieuses patisseries faites de beurre, sucre et d’autres choses que j’ignore) et de la poudre de noix de coco sucrée absolument divine. Rien à voir avec nos hosties sans goût ! On boit du chai à tous les coins de rue, on mange parfois des snacks à n’importe quelle heure, et ce n’est pas une pomme comme par chez nous mais plutôt un bon samossa bien chaud ou des petits piments frais (pour ma part, j’évite).
En un mois, je suis allée à 9 endroits différents, mais je n’ai pas couru comme on pourrait se l’imaginer, j’ai dédié le temps nécessaire à chaque lieu. Et puis je l’ai dit, ici le temps est complètement distendu, les distances parcourues sont inimaginables (six heures de train pour faire 250 km). J’ai passé les deux premières semaines seule : Delhi / Jaipur / Amber / Bundi / Chittorgarth. Dans chacun de ces endroits, j’ai rencontré d’autres voyageurs ainsi que des locaux. C’était vraiment chouette. Puis j’ai retrouvé Laure (qui a déjà passé 6 mois en Inde l’an dernier et qui est revenue parce qu’elle avait eu un goût de trop peu) à Udaipur et ensemble nous sommes allées à Ahmedabad, Anand, et nous voilà à Diu.
Il m’est arrivé pas mal d’aventures, entre un singe qui a voulu m’attaquer, un buffle qui m’a chargée à cause de mon pantalon rouge, 45 km en vélo à travers la campagne Rajasthani, une baignade dans des grandes chutes d’eau avec 30 indiens qui me regardaient, des familles qui m’ont nourrie à ne plus en pouvoir, parfois en me mettant la nourriture directement dans la bouche. J’ai gravi une colline et escaladé un fort, fait de la peinture miniature sur soie, appris une vingtaine de recettes de cuisine typique, me suis enfuie d’un barbecue alcoolisé avec des tibétains, d’une soirée enfumée où les lassis étaient mélangés à du hachisch, j’ai déjà passé des dizaines d’heures dans les transports (et n’en suis qu’au début), eu des discussions passionnantes avec un jeune homme qui sillonne le monde depuis 10 ans, j’ai fait faire des habits par un tailleur qui ne parlait pas un mot d’anglais, répondu au moins mille fois aux horribles questions « vitch contrly, yur naime ? », j’ai été coiffée par des mamans indiennes, porté des bébés qu’on m’a mis dans les bras, été invitée à manger chez de parfaits inconnus (pas de panique, je n’y suis pas allée ! Mais les mamans indiennes ici n’attendent qu’une chose : vous nourrir ! De vraies mères juives !), j’ai dit un nombre incalculable de fois que j’étais mariée pour qu’on me fiche la paix, et encore tellement d’autres choses ! Pourtant, pas une minute je ne me sens en vacances, bien au contraire ! Ici mes sens sont tout le temps en éveil, je n’ai pas une minute de repos. J’apprends, encore et toujours, sur ce peuple aux traditions passionnantes, et puis sur moi-même aussi. J’avais senti que ce voyage serait mon voyage initiatique, et bien je peux affirmer après un mois ici que c’est le cas !
Je n’arrive pas à écrire régulièrement ici, j’en suis désolée mais les connexions sont assez compliquées et je ne trimbale pas mon ordinateur partout, au contraire je préfère vivre chaque moment ; par contre j’essaye de tout consigner dans mon journal pour un jour retrouver mes émotions et sentiments authentiques presque captés sur le vif. Les débuts ont été difficiles mais j’ai peu à peu trouvé mes marques, compris certains fonctionnements, développé une ouïe sélective, fait de belles rencontres même furtives, qui m’ont ôté l’envie que j’avais de rentrer pour aller plus loin, continuer la route, continuer le voyage !


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mercredi 3 octobre 2012

Les enfants de minuit

Pendant des années, j'ai feuilleté des livres de Salman Rushdie dans les librairies, attirée par le nom exotique de cet auteur indien, par des éditions parfois magnifiques, des titres attirants. Mais je n'avais jamais osé. Jusqu'à maintenant. Je ne sais pas pourquoi je me suis toujours sentie toute petite à côté des livres de cet auteur dont je n'avais jamais rien lu et très peu entendu parler. On m'a récemment recommandé "Les enfants de minuit", et je me suis jetée à l'eau. Cet énorme pavé est une sorte de tourbillon dont il m'a été difficile de sortir. L'histoire, le style, le mode narratif, tout est une sorte de gros ouragan de mots, d'évènements qui m'ont laissée le souffle court. L'écriture est d'une qualité rare (merci au traducteur d'avoir retranscrit un tel livre avec cette finesse) et l'histoire est si complexe mais si bien amenée que cela m'a immédiatement fait penser à Proust : je me suis imaginé les brouillons de Rushdie pour ce livre, et je voyais des collages dans tous les sens, des bouts rajoutés, des rappels accrochés partout... comme Proust lors de l'élaboration de La Recherche Du Temps Perdu.
Le 15 août 1947, l'indépendance de l'Inde a été proclamée, et ce fut une nouvelle naissance pour ce gigantesque pays. Des enfants sont nés en même temps que l'Inde indépendante, à minuit ce 15 août, et sont tous dotés de pouvoirs magiques très divers, qu'on n'imaginerait même pas dans nos rêves les plus fous. Saleem Sinai, le héros de cette épopée, est l'un des enfants de minuit, celui qui fut reconnu par l'Etat comme L'Enfant : il est né exactement à minuit et son destin sera lié pour toujours à celui de son pays. On entre ainsi dans la vie d'une famille indienne musulmane aisée, remontant à deux générations au-dessus de Saleem pour bien comprendre les tenants et aboutissants de sa personnalité, de tous les membres de sa famille, de tous les évènements qui leur arrivent. On pourrait penser qu'on s'y perd, mais pas du tout : Salman Rushdie parvient à nous rappeler la succession des évènements qui nous a amenés à tel moment de l'histoire : en quelques phrases, quelques pages, il nous retrace la chronologie d'une main de maitre. Ce n'est jamais ennuyeux, au contraire il le raconte toujours différemment et on est toujours content de se rappeler de telle chose qu'on pensait avoir oubliée ou mal comprise. Mais ce n'est pas un roman naïf : c'est un pamphlet politique virulent dans lequel l'auteur critique de façon très acerbe de nombreux aspects du pays : son gouvernement, ses fonctionnaires, la guerre avec le Pakistan... C'est Indira Gandhi qui est la principale cible de Rushdie. J'avais lu "Le Sari Rose" qui met au contraire Indira Gandhi dans une position de victime d'un système plus que de femme cruelle assoiffée de pouvoir, et du coup à la lecture des Enfants de Minuit, j'ai pu mieux comprendre l'importance des évènements historiques relatés, prendre un peu de recul aussi. C'est un livre vraiment intéressant, très bien écrit, et la façon circonvolutoire dont l'histoire est racontée m'a beaucoup plu : je pense que c'est un livre qui se lit et se vit avant tout, et je me rend compte à quel point il est difficile d'en parler. Une fresque passionnante qui a reçu le Booker Prize en 2008 : et c'est mérité amplement !
L'auteur est né en Inde en 1947, je n'ai pas pu m'empêcher, tout au long de ce roman fleuve, de me dire que petit garçon, Rushdie fantasmait sur de tels pouvoirs magiques, qu'il se disait que son destin était lié à celui de l'Inde... en un sens, sa vie est véritablement liée à son pays de naissance, bien qu'il n'y réside plus depuis longtemps. En 1989, Rusdie est condamnée à la Fatwa à cause de son livre "Les versets sataniques", jugé comme blasphématoire par le monde musulman, et l'auteur laisserait entendre qu'il ne croit plus en l'Islam dans son roman, il est donc également condamné pour apostasie. Pendant 10 ans il a vécu sous la haute protection britannique car sa tête avait été mise à prix, et même si on lui a assuré que désormais on ne tenterait pas de le tuer, on ne peut lever la Fatwa. Il est condamné à vie et ne peut plus guère retourner en Inde : en janvier il a été menacé de mort par des musulmans alors qu'il prévoyait de se rendre à Jaipur pour un salon littéraire... Son livre a été interdit dans de nombreux pays musulmans...

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mardi 2 octobre 2012

Une histoire indienne

Il était une fois une jeune fille de la caste des Brahmanes (la plus érudite, la plus stricte) née et élevée dans un village du Rajasthan. A 19 ans, elle fut mariée à un homme qu’elle ne connaissait point : elle fut marchandée et vendue par sa famille. Elle alla s’installer dans la famille de son époux directement après les noces, dans la grande ville d’Udaipur. Elle ne parlait qu’un dialecte du Rajasthan et dut apprendre l’hindi au plus vite, au risque de ne jamais avoir aucun échange avec quiconque, dans sa nouvelle famille et ailleurs. De cette union naquirent  deux fils, qui furent élevés dans la famille élargie, auprès de leurs grand- parents, leurs oncles et tantes, leurs cousins, comme toute famille indienne respectueuse de la tradition. Moins de 10 ans après son mariage, le mari mourut. Elle dut observer le rituel du deuil à la lettre, restant 45 jours enfermée chez elle, noyée sous un flot de tissus, dans un petit coin, pleurant la mort de son maître. La vie de la veuve commença à être un enfer. Sa belle-famille montra son vrai visage : elle était ignorée par tous, reniée, elle était devenue transparente, inexistante. Seuls ses fils furent considérés par les leurs. Contrairement à elle, ses fils leur étaient reliés par le sang.
Cette pauvre âme maltraitée ne pouvait retournée dans son village, ni ne pouvait espérer se construire une vie ailleurs : là était sa place, jusqu’à sa mort. Si elle ne l’était pas déjà du vivant de son mari, elle devint prisonnière de cette belle-famille haïssante. On commença à lui demander  de payer pour ses consommations d’eau, d’électricité, de nourriture. On lui faisait payer que son mari fut mort et elle vivante. Elle était pauvre, sans ressources financières ni humaines. Elle vivait dans deux pièces jusqu’à ce qu’elle dût en rendre une faute de moyens : on lui prit sa cuisine pour ouvrir un restaurant. Deux ans elle vécut sans électricité car elle ne pouvait payer les montants qu’on lui demandait. Pour ne pas laisser ses enfants mourir de faim, elle réussit à gagner quelques roupies par jour en lavant les vêtements des touristes, dans le plus grand secret de tous : les Brahmanes n’ont pas le droit d’exercer un métier si déshonorant. Chacun prenait une part de son gagne-pain : le bakchich est roi en Inde. Sa précarité était telle qu’elle ne put bientôt plus honorer les frais de scolarité de ses enfants, qui étaient désespérés de ne plus pouvoir aller à l’école. Alors, enfin, elle demanda de l’aide à sa sœur qui lui donna de l’argent, permettant ainsi de ne pas envoyer ses enfants de 10 et 8 ans gagner leur croûte tous les jours dans les rues.
Un jour, un irlandais vint passer quelques jours à Udaipur, ville encore très peu touristique. Il venait souvent diner au restaurant de la belle-famille et alors se prit d’amitié pour cette femme harassée, durcie, seule au monde. Leur amitié ne put passer par les mots mais par un langage plus universel. Elle lui fit à manger, et il trouva cela si bon qu’il souffla l’idée qu’elle ouvrit un cours de cuisine pour les étrangers. Elle ne parlait pas un mot d’anglais, elle tenait tout ce qu’elle savait de sa mère mais n’avait jamais rien enseigné, ni transmis. L’idée fit son chemin, une liste de recettes commença à se dresser. Son premier cours arriva, elle tremblait, mais tous furent bienveillants avec elle, l’aidèrent à apprendre chaque mots, et peu à peu, à travers les cours, elle apprit à parler anglais mais également d’autres langues. Des australiens lui écrivirent ses recettes en anglais, et d’autres étrangers se relayèrent pour lui envoyer, peu à peu, des traductions des recettes dans d’autres langues. Quelqu’un lui fit son site internet une fois rentré de ses vacances. On l’aidait volontiers, tant elle avait su toucher chacun avec sa nourriture délicieuse et son charme de maman poule. Cette femme intelligente au regard vif parvint à s’extraire de la misère en apprenant tout ce qu’une mère indienne doit naturellement apprendre à sa fille : la cuisine. Aujourd’hui, j’ai passé 5h avec Shashi à sentir, goûter, malaxer, couper, frire, déguster, mixer, mélanger, apprendre. Comme j’aurais pu faire avec ma propre mère, et c’était un moment merveilleux. 
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